lundi 12 février 2018

Toute la lumière que nous ne pouvons voir

Auteur : Anthony DOERR 
Editeur : Le Livre de Poche
Parution : 28 septembre 2016
Nombre de pages : 704








Toute la lumière que nous ne pouvons voir possède la puissance et le souffle des chefs-d’œuvre. Magnifiquement écrit, captivant de bout en bout, il nous entraîne, du Paris de l'Occupation à l'effervescence de la Libération, dans le sillage de deux héros dont l'existence est bouleversée par la guerre : Marie-Laure, une jeune aveugle, réfugiée avec son père à Saint-Malo, et Werner, un orphelin, véritable génie des transmissions électromagnétiques, dont les talents sont exploités par la Wehrmacht pour briser la Résistance.
Cette fresque envoûtante, bien plus qu'un roman sur la guerre, est une réflexion profonde sur le destin et la condition humaine. La preuve que même les heures les plus sombres ne pourront jamais détruire la beauté du monde.
















Ce que j'en ai pensé


En principe, je ne lis jamais de romans (et encore moins d'essais) sur la Seconde Guerre Mondiale. Non parce que cela ne m'intéresse pas, mais parce que je ne supporte pas les injustices et les horreurs qui ont eu lieues à cette époque, qui pour moi est une des pires de l'Histoire. Lire des récits de déportation, de familles déchirées, d'enfants arrachés à leurs parents, de tortures et j'en passe, c'est au-dessus de mes forces.

Mais pour ce livre-là, j'ai décidé de faire une exception, et bien m'en a pris. Sans aller jusqu'à dire que ce fut un coup de cœur, j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Dès le début, on est happé par cette histoire, et elle vous poursuit même quand vous posez le livre pour faire autre chose.


Nous suivons en parallèle deux personnages, un garçon allemand, Werner, et une petite fille française aveugle, Marie-Laure. L'histoire commence le 7 août 1944, jour où les Anglais bombardent impitoyablement Saint-Malo afin de balayer la dernière résistance des Allemands. Ce jour-là, Marie-Laure, qui a 16 ans, est seule dans la maison de son grand-oncle, et Werner, 18 ans, est terré dans la cave d'un hôtel de la ville qui avait été réquisitionné par ses pairs. Quand l'hôtel s'écroule, il se retrouve bloqué avec deux de ses camarades, sans aucun moyen de sortir à l'air libre.

Mais à ce stade du récit, l'histoire fait un bond en arrière de dix ans, et nous retrouvons ces deux personnages enfants, pour suivre leur parcours de leur enfance jusqu'à ce jour particulier (le 7 août 1944, donc), avec de rapides retours sur celui-ci, qui nous montrent tout ce qui va leur arriver au cours de cette journée, et bien au-delà.

Tout au long du roman, les histoires des deux enfants se succèdent en alternance, ce qui donne un bon équilibre et un bon rythme au récit. 

D'un côté, nous voyons comment Werner, jeune orphelin qui grandit dans un pensionnat pour enfants de mineurs décédés va être repéré par les Jeunesses hitlériennes et enrôlé pour ses talents innés et relevant presque du génie en électro-magnétique, en sciences et en mécanique. 

Et de l'autre côté, nous suivons l'histoire de Marie-Laure. Aveugle depuis l'âge de six ans, elle vit seule avec son père, qui travaille pour le Muséum d'histoire naturelle de Paris. Pour lui apprendre à se repérer seule à l'extérieur, son père lui construit une maquette en bois extrêmement détaillée et précise de leur quartier. Comme elle ne va plus à l'école, elle accompagne chaque jour son père à son travail, où elle se prend d'un grand intérêt pour le département des coquillages (qui est en fait une des passions de l'auteur), engouement qui la suivra toute sa vie. C'est également à cette époque que son père lui apprend la lecture en braille, et lui offre des livres de Jules Verne, auteur qui la marquera profondément.

Mais six ans plus tard, l'Occupation allemande les obligera à fuir sur les routes comme des milliers d'autres parisiens, et à trouver refuge à Saint-Malo chez l'oncle du père de Marie-Laure, un excentrique traumatisé par son expérience de la Première Guerre mondiale, qui vit reclus dans sa maison en bord de mer.

Ce roman est extraordinaire par de nombreux aspects, mais ce n'est pas facile d'en parler, justement à cause de sa richesse, car je ne sais pas par quoi commencer.

Ce qui m'a le plus frappée, je crois, c'est de voir l'autre côté de l'Histoire, celle qu'on ne nous a jamais apprise à l'école et celle dont on ne nous parle pas à la télé (sauf, peut-être, sur la chaîne Arte) : le côté Allemand. Comment les Allemands l'ont vécue, cette guerre. Et surtout, comment s'est déroulée la montée du nazisme. Ce que l'on découvre, c'est que le régime d'Hitler a fait autant régner la terreur de l'autre côté que chez nous. Et que la plupart des allemands n'ont pas eu le choix d'adhérer aux convictions du Führer. Soit ils ont été endoctrinés par une propagande hyper agressive qui leur a "lavé le cerveau", soit ils ont été enrôlés de force.

Quand Werner est accepté dans une école formant les élites hitlériennes, pour lui, c'est un moyen d'échapper à la misère et à la triste perspective d'une vie de mineur. Et puis c'est considéré comme un grand honneur, une grande chance. Ce n'est que petit à petit qu'il se rendra compte que les méthodes utilisées par les instructeurs sont inhumaines, et qu'ils ne sont que des pions, voire juste des futures chairs à canons, pour leurs "professeurs". Durant cette période de "formation", il y a d'ailleurs eu des passages assez durs, qui m'ont choquée, révoltée et attristée, mais très peu nombreux, heureusement.

Utilisé par la Wehrmarcht pour lutter contre la Résistance (qu'elle soit russe, polonaise ou française) à cause de son don pour les transmissions radios, Werner vit la guerre alors qu'il n'a que 16 ans, et sombre progressivement dans un abattement moral permanent et un profond pessimisme, doublé d'une faiblesse physique due aux conditions terribles : le froid, les privations, l'inconfort, le manque de nourriture...
Et pourtant, il n'est pas sur le front. D'ailleurs, on ne verra à aucun moment les batailles ou les tranchées. Mais la mission de Werner et de ses camarades a beau être primordiale pour leurs chefs, ils n'en sont pas privilégiés pour autant et souffrent presque autant que ceux qui se battent sur les premières lignes.

C'est là aussi que l'on se rend compte de ce qu'ont enduré les simples soldats allemands ainsi que les civils pendant cette guerre, surtout vers la fin. Le régime hitlérien concentrant toutes les richesses et les ressources dans l'effort de guerre, le peuple n'avait plus rien. Les rationnements, ce n'était pas que chez nous, c'était chez eux aussi. Le froid, la faim, les injustices, les violences perpétrées par le régime, ils les ont subies aussi. Et contrairement à nous, ils n'avaient pas le droit de se plaindre car se plaindre, c'était critiquer le régime. Et là-bas comme ici, la délation allait bon train.

Attention, je ne suis pas en train de dire que ce livre est un plaidoyer pour faire passer les allemands pour des victimes. C'est juste un roman qui nous fait prendre conscience que dans une telle guerre, les gens simples, ceux qui n'ont aucun pouvoir, souffrent des deux côtés. Et que s'il avait pu, le peuple allemand se serait bien passé de cette guerre. Surtout que pour eux, à la fin, la honte s'est ajoutée à la misère. Non seulement le pays était complètement exsangue en 1945, et ils ont vécu de nombreuses années de vaches maigres avant de commencer à remonter la pente, mais en plus, la population a découvert peu à peu toutes les horreurs qui avaient été commises, et dont ils avaient tous été plus ou moins complices. 

Et c'est cet éclairage-là qui donne en partie sa grande force à ce roman, son effet "coup de point". Car il ne s'arrête pas à la chute d'Hitler et à la victoire des Alliés. L'auteur continue l'histoire jusqu'en 2014. Donc nous revoyons certains personnages, ou leur famille, vingt ans, trente ans après la fin de la guerre, et les traces qu'elle a laissée en eux. Et on ne peut pas s'empêcher d'éprouver de la compassion pour ces gens, et surtout, une sensation d'immense gâchis à la pensée de cette génération de jeunes allemands sacrifiée.


Côté français, on voit également comment était la vie en temps d'Occupation, comment les gens s'organisaient pour pallier aux manques, comment il fallait faire preuve de talent et d'imagination pour fabriquer des repas décents avec le peu que l'on avait.

On voit aussi la peur de chaque instant : la peur des patrouilles, la peur des délations... Mais l'auteur nous montre également comment la Résistance fonctionnait, comment les français trouvaient le courage de lutter malgré cette peur.

 Pour Marie-Laure, la vie s'écoule lentement, très lentement. Au début, les jours, les semaines et les mois n'en finissent pas car elle n'a pas le droit de sortir de la maison de son grand-oncle, son père ayant trop peur pour elle. Et puis il va se passer quelque chose de terrible, qui va affecter la jeune fille au plus profond d'elle-même, et elle aussi va sombrer dans un profond marasme moral, une apathie totale. Jusqu'au jour où la gouvernante/cuisinière de son grand-oncle, une femme chaleureuse et énergique, décide que c'en est assez. Elle la prend sous son aile et l'emmène sur la plage, où Marie-Laure découvre des coquillages aussi nombreux que variés, qu'elle commence à collectionner. Chaque jour, tant que c'est possible, elles sortent faire ces promenades salutaires, et Marie-Laure reprend peu à peu goût à la vie.

Même si cet aspect de la guerre était également très intéressant, émouvant et instructif, il m'a moins marquée que le côté allemand. Peut-être parce qu'on nous en a plus parlé, que tout cela nous est plus familier.


Au niveau du style, qui est très agréable et fluide, ce qui m'a étonnée, c'est que malgré une narration un peu froide, comme à distance des personnages, on arrive à ressentir énormément de choses. Tous les sentiments et les émotions que connaissent les personnages, nous les ressentons aussi. Mais grâce à cette sorte de détachement dans le ton, on n'est pas non plus en totale empathie, ce qui rend supportable la lecture de certaines scènes qui auraient été sinon - pour moi, en tout cas - d'une tristesse ou d'une violence insupportable.

La fin m'a un peu déçue, mais pas parce qu'elle était mauvaise, non, juste parce qu'il n'y a aucune facilité de "roman". Ça se termine comme dans la vraie vie : pas de miracle, pas de grandes envolées romantiques... Et je sais pas, après tout ce qu'avaient traversé les personnages, j'aurais voulu un peu de magie, un peu de bonheur. La fin n'est pas triste, mais elle n'est pas d'une folle gaieté non plus. Pour moi, à travers les destinées de ses personnages, elle montre qu'au final, le peuple français s'est mieux  remis de ses blessures que le peuple allemand.

Mais bien qu'un peu trop raisonnable à mon goût, ce dénouement n'a en rien gâché mon plaisir, et ce roman est resté en moi comme quelque chose de sombre, puissant et magnifique à la fois. 

Et surtout, il m'a réconciliée avec les livres se passant à cette époque, car il m'a prouvée que parfois, même si c'est un peu dur, cela vaut le coup d'être lu.


Conclusion : Un livre très beau mais triste et assez dur par moments. Le but de l'auteur n'était apparemment pas du tout de nous raconter la guerre de façon romancée, enjolivée, mais de nous la montrer telle qu'elle a été pour les deux peuples directement concernés, les Français et les Allemands, et de nous montrer que cela avait été aussi dur des deux côtés. Un roman à l'écriture fluide et directe, presque froide dans la forme mais recelant énormément d'émotions et de sentiments, ce qui entraîne forcément de l'empathie envers les personnages et un certain attachement.
Je recommande ce livre à tout le monde, car non content d'être passionnant, il fait la lumière sur bien des choses que la plupart d'entre nous ignorons ou sur lesquelles on n'avait jamais réfléchi avant. A lire absolument !


Ma note : 18/20





Cette lecture rentre dans le cadre des challenges :























3 commentaires:

  1. Je ne lis plus non plus de romans sur la seconde guerre mondiale.
    Celui a l'air de vraiment bien t'avoir plus donc c'est positif ! Après je ne pense pas que je le lirais un jour mais je le note pour si j'ai une envie particulière un jour ^^

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  2. Ta chronique donne envie de découvrir ce roman même si pour ma part, également, je ne lis plus de romans sur la 2nde guerre car des lectures trop difficiles à supporter avec bien trop d'horreur... dure période...

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  3. j'ai aussi eu un coup de coeur pour ce livre très humain. Cela change vraiment de tout ce qu'on peut lire ou voir sur cette époque, merci pour ton avis

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