Editeur : Omnibus
Parution : 20 octobre 2016
Au début de l'hiver, dans une petite ville, débarque un inconnu, vêtu de façon anonyme, quelconque à tout point de vue. Malgré son apparence, Justin Ward possède une grosse liasse de banknotes qu'il porte toujours sur lui. Ce n'est pas son statut d'étranger à la région qui attire l'attention (la tannerie voisine emploie des immigrés), mais bien son extrême réserve : il vit une vie fort réglée, se conforme aux habitudes de la population ; il rachète même un café-billard, mais ne livre jamais rien de lui-même. Il semble être sans passé, sans pensée et sans ombre. Mais sa seule présence a pour effet de faire naître l'hostilité : n'est-ce pas sous son influence que le « Yougo », un marginal pittoresque, prend conscience qu'on le tolère parce qu'il donne aux autres une bonne idée d'eux-mêmes ? Ce qui le pousse à déclencher une scène de violence. La curiosité inquiète de la ville se cristallise tout entière en la personne de Charlie, le tenancier d'un petit bar où Ward se rend chaque jour et qui s'est juré de pénétrer le mystère de son identité réelle.
Ce que j'en ai pensé
N'ayant jamais lu de Simenon auparavant, j'étais assez curieuse de savoir si cela me plairait. Et la réponse est "oui", j'ai vraiment apprécié cette lecture, même si, au départ, j'avais du mal à m'expliquer pourquoi.
En effet, le style de l'auteur est simple et l'histoire aussi. Mais "simple" ne veut pas dire "pauvre". Si ses phrases semblent ordinaires, voire banales, il ne faut pas s'y fier car elles sont fluides et précises, et en peu de mots, il sait décrire un personnage, un lieu ou une ambiance.
D'ailleurs, je pense que tout est une question d'atmosphère. L'auteur a réussi à installer une ambiance assez pesante et un climat de mystère autour du "nouveau venu".
En plus, l'histoire est concentrée dans une seule rue de la ville, et l'action se déroule presque exclusivement dans un bar, ce qui donne un peu l'impression d'une sorte de huis-clos. A la limite, cela pourrait presque être une pièce de théâtre.
Mais c'est surtout à travers le patron de ce bar que le malaise s'installe, car dès le départ, il a une mauvaise opinion de l'inconnu, et cette impression ne fera que se renforcer au fil des pages. Et comme presque toute l'histoire est vue par lui, on est forcément gagné par les impressions et les mauvais pressentiments de ce personnage.
Car plus l'histoire avance, plus ce patron de bar est obsédé par le "nouveau" qui lui, de son côté, ne fait rien pour se rendre sympathique, il faut le reconnaître. On a même la nette impression qu'il se délecte du malaise qu'il provoque chez les autres, et qu'il entretient volontairement le mystère qui l'entoure, en ne révélant rien de lui-même et en ne répondant pas toujours quand on lui parle. A la façon dont il observe les gens sans rien dire, on a même l'impression qu'il les méprise et se moque d'eux intérieurement, ou pire encore, qu'il sait des choses sur eux.
Charlie - le patron du bar - est donc persuadé qu'il est mauvais, qu'il a de mauvaises intentions, et que s'il est venu dans cette ville, c'est pour se cacher car il a des choses à se reprocher.
Et durant tout le roman, il va faire des pieds et des mains pour "enquêter" sur lui, en contactant toutes les personnes qu'il connaît et qui seraient susceptibles de savoir quelque chose sur cet individu aussi antipathique que louche.
Et s'il finira par arriver à ses fins, c'est-à-dire à savoir qui est réellement cet homme et pourquoi il est venu dans cette ville, cette découverte aura un goût plutôt amer.
Dans ce court roman, le talent de l'auteur est donc de faire monter la tension progressivement. Car si Charlie est le plus hostile envers l'inconnu, les autres personnages - qui sont presque tous des clients du bar - ne l'aiment pas non plus et font des suppositions sur lui qui entretiennent cette sorte de psychose collective.
Ce qui ne veut pas dire qu'ils ont forcément tort, car certains actes et comportements de l'homme tendent à leur donner raison. On ne peut pas nier qu'il est bizarre, voire inquiétant, et que son influence sur certains habitants de la ville ne sera pas bénéfique pour eux.
On comprend rapidement aussi que la supposition selon laquelle il se cacherait dans ce petit bled est probablement bonne, car il est évident qu'il a peur qu'on découvre qu'il est là.
Tout est donc fait pour instiller le doute et l'appréhension chez le lecteur, tant l'ambiance est lourde de suspicion et d'attentes. D'autant plus que les informations que Charlie réussit à glaner petit à petit apportent autant de réponses que de nouvelles questions.
Jusqu'à la météo, qui n'arrange rien : il neige, il pleut, le ciel est plombé, et le temps semble comme suspendu. Les jours passent, mais lentement. Chaque jour ressemble au précédent et les clients du bar viennent et repartent avec une régularité de métronome. L'inconnu, en particulier, a des habitudes qui semblent immuables. Du jour de son arrivée jusqu'à la fin du roman, ses journées seront organisées selon des horaires précises qui ne changeront qu'en de rares occasions. Et cette régularité même semble suspecte, et met à rude épreuve les nerfs de Charlie, qui le supporte de moins en moins au fil du temps.
Même s'il est surtout question de Charlie et de Justin Ward - le "nouveau"-, il y a toute une galerie de personnages secondaires qui sont très bien décrits. Fidèle à son style, l'auteur en dresse un portrait aussi bien mental que physique en quelques phrases. Bien sûr, les illustrations de Loustal aident à se faire une idée encore plus précise de leur apparence.
A propos des illustrations, même si ce style n'est pas exactement ma tasse de thé, je dois reconnaître qu'elles contribuent largement à installer l'ambiance pesante et l'atmosphère de grisaille hivernale. Rien qu'à les regarder, on se sent déprimé et on a froid. Elles complètent donc parfaitement le texte, et c'est le principal.
Conclusion : Un roman court à l'intrigue simple, mais dont l'ambiance lourde fait forte impression sur le lecteur et le plonge totalement dans l'histoire. La plume de l'auteur, simple et précise, est efficace et plante le décor en peu de phrases. Sans être extraordinaire, cette histoire m'a fortement marquée et l'ambiance est restée en moi bien après la fin de ma lecture, ce qui montre la force de cette écriture et m'a donné envie de découvrir d'autres ouvrages de ce célèbre écrivain.
Ma note : 16/20
J'avais déjà lu un Simenon il y a un moment et je retrouvais bien ce style simple mais efficace et l'ambiance qui joue beaucoup =)
RépondreSupprimerSuper si ça t'as plu ^^