dimanche 3 juillet 2016

Des souris et des hommes

Auteur : John STEINBECK
Editeur : Le Livre de Poche
Parution :  1964
Nombre de pages : 182








La prairie sauvage et le rêve le plus humble, le plus tendre, vivent dans ces vagabonds, dans ces brutes mal détachées de l'animal et de la terre. Le grand vent, la grande plaine, la grande pluie et les grandes tristesses circulent autour d'eux.
Et quand, sur la berge sablonneuse de la Salinas dormante, se défait, par un sacrifice atroce et magnifique, l'aventure de Lennie, l'innocent qui aima tant caresser les peaux des souris, les poils des chiots et les cheveux brillants des femmes, une admiration profonde et stupéfaite se lève pour l'auteur qui, avec des mots si simples et sans rien expliquer, a fait vivre si loin, si profondément et si fort.

JOSEPH KESSEL









Ce livre est le 2e qu'a choisi ma binôme Sélène dans ma PAL, dans le cadre du challenge  Livra'deux pour pal'Addict. Pour mémoire, ce challenge consiste à sélectionner trois livres dans la PAL de notre binôme. Celui-ci choisi lequel des trois il lira et chroniquera. Sélène et moi avons choisi de lire les trois livres que chacune à choisi pour l'autre. 

En 2e choix, Sélène a lu Il faut qu'on parle de Kevin, de Lionel Shriver. Sa chronique est ici.




Ce que j'en ai pensé



Ce n'est pas facile de chroniquer un classique aussi connu et encensé que celui-ci. On a toujours peur de dire des bêtises.

Ce qui est sûr, c'est qu'il m'a fortement marquée, alors que je n'ai pas éprouvé tellement de plaisir à le lire. Cela peut paraître paradoxal, mais c'est vrai. Je me suis sentie mal à l'aise tout le long de ma lecture, car je sentais le drame arriver. De toute façon, la préface de Joseph KESSEL et l'introduction de Maurice-Edgar COINDREAU ne laissaient aucun doute à ce sujet. Avant même de commencer, on sait que ça finira mal. Alors moi qui n'aime pas les fins tristes, je lisais tout en appréhendant le moment où ça allait mal tourner. 

L'univers de ce roman est très dur et le style de l'auteur, sec et sans fioritures, ne contribue pas à l'adoucir. Les faits sont racontés tels quels, quasiment sans descriptions ni introspections. Le roman n'est presque constitué que de dialogues et on ne sait pas ce que pensent les personnages. Et pourtant, au lieu de créer une impression de superficialité, ce style littéraire donne une force supplémentaire aux événements.

 Nous sommes dans l'Amérique profonde des années 30, dans le monde des journaliers agricoles, ces vagabonds qui allaient de ferme en ferme à la recherche de travail pour quelques semaines ou quelques mois. Et dans ce monde-là, il y a très peu de place pour les sentiments ou la psychologie. Même si l'esclavage a été officiellement aboli depuis environ 70 ans, les noirs sont encore considérés comme des êtres inférieurs et la discrimination paraît normale à tout le monde. Dans la ferme où se situe l'histoire, il n'y a qu'un seul travailleur noir, et il est complètement mis à l'écart des autres : il ne dort pas dans le dortoir avec eux mais dans une petite pièce attenante à l'écurie, ils l'acceptent pour jouer au jeu du fer à cheval, dehors, mais pas pour jouer aux cartes dans leur dortoir, et quand ils parlent de lui, son infériorité coule de source. Cette mentalité est choquante pour un lecteur d'aujourd'hui, mais devait être normale quand le livre a été écrit. D'ailleurs, l'auteur ne prend pas du tout sa défense et n'en fait pas un personnage sympathique. 

Ces journaliers étaient solitaires, la plupart du temps, et l'accent est régulièrement mis sur ce point au cours du roman. Ils voyagent seuls, n'ont pas de famille, ne mettent pas d'argent de côté pour se sortir de leur condition de vagabonds car ils dépensent toute leur paye au bordel ou au bar... Alors, deux hommes qui voyagent ensemble, comme c'est le cas de George et Lennie, ce n'est pas courant et ça intrigue, on leur pose souvent la question du "pourquoi", on cherche à comprendre ce qui les lie. Surtout que leur "duo" sort de l'ordinaire : George, petit, brun, nerveux, les yeux vifs et perçants et les traits marqués, et Lennie, un colosse lent, "à visage informe, avec de grands yeux pâles et de larges épaules tombantes". 

Dès leur apparition, on comprend que Lennie est un "innocent", comme on dit, un homme qui ne sera jamais adulte, et que George l'a pris sous son aile et le protège comme il peut dans ce monde brutal et impitoyable. Car Lennie fait des "bêtises", non par méchanceté, car il est incapable d'un tel sentiment, mais parce qu'il ne peut pas résister à l'envie de toucher ce qui lui plaît et parce qu'il ne sent pas sa force. Et George passe son temps à lui sauver la mise, et à sauver leur peau par la même occasion. Il râle sans arrêt après Lennie et lui dit combien sa vie serait plus facile sans lui, mais on sent qu'en réalité, il a énormément d'affection pour lui et qu'il ne supporterait pas qu'on lui fasse du mal.

Et pour cela, j'ai trouvé leur amitié très émouvante. Lennie m'a beaucoup touchée par son innocence et son attachement à George. George représente tout pour lui. Il est son seul repère, sa seule famille, il a une confiance aveugle en lui, il lui obéit comme un enfant à son père, il ne met jamais en doute ce qu'il lui dit et lui demande tout le temps de lui raconter comment ils achèteront leur propre petite ferme dans laquelle ils élèveront des lapins et vivront heureux pour toujours. Et ses réactions face aux propos blessants de George montrent à quel point il le vénère, et me brisaient le cœur à chacun de ces passages. Un homme comme Lennie n'aurait jamais dû se retrouver dans un univers aussi dur et violent, aussi impitoyable, où la notion d'indulgence et de protection des plus faibles est inconnue et dans lequel son handicap le met à la merci de la méchanceté des hommes. Et c'est cette injustice qui m'a dérangée pendant ma lecture. J'étais révoltée qu'on le traite avec mépris et qu'on l'insulte alors que lui était si gentil, si naïf et ne songe pas une seconde à faire du mal.

Les autres ouvriers de la ferme ne sont pas méchants, mais simples et rustres. Le seul qui sorte vraiment du lot est Slim le roulier (le roulier est celui qui conduit les attelages pour le transport des marchandises). Ce personnage a un physique et une personnalité qui en imposent, une façon de s'exprimer calme et réfléchie et une intelligence supérieure aux autres, ce qui lui confère en quelque sorte le statut de chef parmi les ouvriers de l'exploitation. Quand il y a un litige, c'est à lui qu'on demande de trancher, sa parole fait force de loi, ses décisions sont respectées, on vient lui demander conseil, on se confie à lui... Et ce n'est pas un hasard s'il est la seule personne à qui George avoue les problèmes qu'il a eu avec Lennie au cours de leurs pérégrinations, et à qui il explique réellement le handicap de son ami. Et après le drame final, il sera le seul à comprendre la tristesse de George.
J'ai beaucoup aimé ce personnage qui, en quelques apparitions, laisse une très forte impression.

Un autre personnage qui m'a beaucoup touchée, aussi, c'est Candy, le plus vieux des ouvriers, à qui il manque une main et dont le seul compagnon est un vieux chien. Lui aussi s'attache à George et Lennie, au point de les rejoindre dans leur projet d'achat d'un lopin de terre en leur proposant de leur donner toutes ses économies.

Les personnages les moins sympathiques, et par qui le malheur arrive, sont le fils du patron et sa femme. Elle, rôdant autour des hommes pour tromper un ennui mortel et se consoler de ses rêves déçus de carrière d'actrice, et lui, complexé, hargneux, méchant et d'une jalousie maladive, prenant immédiatement Lennie en grippe à cause de son énorme carrure, trop aveuglé par sa jalousie pour comprendre qu'il ne représente pas un rival potentiel.

Dès le départ, tous les éléments sont en place pour une tragédie et tout se passe très vite. Le roman se déroule sur à peine quelques jours et on assiste, impuissant, au déroulement des événements. 


Conclusion : Une histoire très simple mais très forte, écrite dans un style sec et concis, des personnages dont le langage abrupt et rude témoigne de l'âpreté de leur vie... Un livre que j'ai eu du mal à apprécier sur le moment mais qui, au final, m'aura fortement marquée et restera en moi très longtemps, je pense.


Ma note : 17/20






6 commentaires:

  1. En effet, une histoire marquante et qui ne laisse pas indifférent, quel que soit le ressentit qu'il fait éprouver :)

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  2. Un livre magnifique ! L'amitié de ses deux hommes est extrêmement touchante, j'ai adorée cette histoire, bien qu'elle soit d'une tristesse profonde.
    Et la préface de Kessel est sublime !

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  3. Ce livre a été un véritable chamboulement pour moi. Ton article est très bien écrit. :)

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