vendredi 15 décembre 2017

Ki et Vandien, tome 1 : Le Vol des harpies

Auteur : Robin HOBB
Editeur : France Loisirs 
Parution : Septembre 2016
Nombre de pages : 184 (pour le premier tome), 845 (pour l'intégrale entière)








Les Harpies vouent à Ki, une jeune romni, une haine sans merci depuis qu'elle a détruit un nid de ces monstrueuses créatures dans un acte de vengeance désespérée. Endeuillée et seule, Ki doit pourtant reprendre la route avec sa roulotte. Ella a accepté, pour une grosse somme d'argent, de transporter un colis au travers des montagnes enneigées réputées infranchissables. En chemin, elle rencontre Vandien, jeune voleur et personnage étonnant qui l'accompagnera dans un périple semé d'embûches, et l'aidera à comprendre ce qui se trame derrière cette mystérieuse mission...














Je précise que j'ai lu ce premier tome dans cette intégrale, c'est pourquoi je mets cette couverture, mais que je lirai les autres tomes plus tard.




Ce que j'en ai pensé


Je n'ai découvert Robin Hobb que l'année dernière, mais j'ai tout de suite été subjuguée par sa plume et son talent de conteuse. Chacun des trois romans que j'ai lu a été un pur bonheur, et si celui-ci n'est pas un coup de cœur, j'ai quand même pris un très grand plaisir à le lire. 

Tout commence par la vengeance de Ki, un petit bout de femme qui a perdu son mari et ses deux enfants, massacrés par des Harpies. Dans la mythologie et les légendes populaires, les Harpies sont des créatures à tête de femme et au corps d'oiseau. Mais pas ici. Ici, ce sont des sortes d'aigles géants avec des becs de tortue et des bras maigres terminés par des serres, et ils peuvent être mâles ou femelles. De plus, à la différence des rapaces classiques, ce sont des êtres intelligents, dans le sens de "intelligence humaine", "conscience". Non seulement elles pensent et réfléchissent, mais apparemment, elles ont également des sortes de pouvoirs surnaturels. Elles sont une porte, un lien entre le monde réel et celui des morts.

D'ailleurs, dans le monde de ce roman, certains peuples les vénèrent pour cela, et leur font régulièrement des offrandes de viande fraîche pour avoir le privilège, en échange, de pouvoir discuter avec un membre de leur famille décédé. Sven, le mari de Ki, faisait partie de l'un de ces peuples, mais s'était détourné de cette foi qui lui semblait creuse et morbide. En épousant Ki, il avait renoncé à cultiver ses terres reçues en héritage, quitté son village et sa famille et adopté le mode de vie itinérant de sa femme. Car Ki est une Romni, l'équivalent des tziganes chez nous, en quelque sorte. Ils vivent en roulotte et font du commerce avec les marchants pour subvenir à leurs besoins.

Folle de douleur et rendue inconsciente du danger par la haine, Ki va exercer une vengeance terrible, en mettant le feu à un repaire de Harpies, tuant la mère et 3 futurs bébés encore dans leurs œufs, et blessant grièvement le père. Mais cela n'apaise pas son chagrin, et, refusant de se plier à la coutume romni qui veut qu'une veuve fasse don de toutes les affaires de son mari à la communauté pour pouvoir tourner la page et en finir avec son deuil, elle se condamne ainsi elle-même à la solitude. Mais ce n'est pas une punition pour elle, car de toute façon, elle ne supporte aucune présence et ne désire qu'une chose : qu'on la laisse vivre pleinement son chagrin.

Deux ans passent, et quand nous la retrouvons, elle est sur le point d'entreprendre de franchir un col de montagne mortellement dangereux, en plein hiver, avec sa roulotte et ses deux chevaux, afin de livrer une marchandise plus ou moins douteuse à un riche négociant, de l'autre côté de la montagne en question. C'est alors qu'elle fait la rencontre d'un jeune homme sympathique mais un peu mystérieux, qui lui propose de l'aider à franchir le col car contrairement à elle, il connaît bien la région. Ki n'a pas envie de compagnie et pense pouvoir s'en sortir seule, mais elle accepte néanmoins, sans pouvoir vraiment s'expliquer pourquoi.

Leur voyage sera pénible et rempli de dangers, mais ils se soutiendront mutuellement, et apprendront petit à petit à se connaître. Mais surtout, pendant ce périple, Ki fera également un vrai voyage intérieur, se remémorant tout ce qu'il lui est arrivé ces deux dernières années et en même temps, cheminant et évoluant sur la question de son deuil, de son désir - et de sa capacité - à y mettre fin (ou pas).

Ainsi, le récit au présent est ponctué de fréquents flashs-back, et même de flashs-back à l'intérieur des flashs-back, comme des poupées russes, mais sans que jamais on ne s'y perde ou qu'on ne soit embrouillé. Nombre de ces souvenirs nous ramènent à la période où Ki est venue annoncer sa mort à la famille de son mari et où elle a séjourné assez longuement parmi eux. Séjour qui ne s'est  pas très bien passé, d'ailleurs...

Au niveau de leur habitat, le peuple de Sven me fait beaucoup penser aux Vikings, mais ils s'en éloignent par ailleurs sur de nombreux autres points : leur culte aux Harpies, leur mode de vie comme cultivateurs et non navigateurs, leur organisation sociale (on ne sait pas trop s'ils ont un chef, mais je n'en ai pas eu l'impression)...

La fantasy de Robin Hobb n'est pas une fantasy d'action, qui part dans tous les sens et nous fait vivre des sensations fortes à chaque page. A part deux ou trois scènes de bagarre ou de suspense, on est plutôt sur de la lenteur : lenteur du voyage au rythme des chevaux et de la roulotte, lenteur du cheminement intérieur de Ki et de ses introspections, lenteur du développement de l'intrigue et enfin, de l'évolution des relations entre Ki et Vandien... 

Mais cela ne m'a pas dérangée car ce que j'aime chez cette auteure, c'est que ses histoires se savourent. Quand je les lis, j'aime prendre mon temps et aller au rythme de la narration. De plus, cette apparente inaction n'était pas synonyme de longueurs ou d'ennui. L'écriture est dense, l'univers simple en apparence mais très riche en réalité, les réflexions personnelles des personnages toujours intéressantes et malgré tout, il se passe tout le temps quelque chose.

Et puis si l'intrigue ne regorge pas de rebondissements et de coups de théâtre, les émotions des personnages, elles, sont souvent très fortes, parfois même violentes, et remplacent les prouesses physiques ou les scènes de bagarre.

Ki est un personnage beaucoup plus complexe qu'on pourrait le penser de prime abord. Très peu causante, elle est toute en émotions intériorisées, ne laissant presque rien transparaître. La perte de son mari et de ses deux enfants l'a brisée, laissée comme une coquille vide de tout, sauf de la haine, seul sentiment qu'elle arrive encore à ressentir, mais avec quelle puissance ! C'est comme si sa vie s'était arrêtée en même temps que la leur ou qu'elle s'interdisait d'y reprendre goût. Même si elle n'est pas follement sympathique, on s'attache malgré tout énormément à elle, parce qu'on connaît sa souffrance, on sait tout ce qu'elle pense et tout ce qu'elle ressent. Vandien essaye de toutes ses forces de la secouer, de lui redonner l'envie de vivre, et on se surprend à espérer qu'il y arrivera.

Lui, c'est un personnage beaucoup plus sympathique que Ki, et on l'apprécie instantanément. Même si l'on sens qu'il cache des choses, on sait aussi d'instinct qu'il n'est pas mauvais. Il est d'une aide précieuse pour Ki, autant au niveau pratique que pour son moral. Pour nous, lecteur, il devient assez vite évident qu'il est la personne dont Ki avait besoin sans même le savoir. Le seul être humain, peut-être, qui était de taille, dans sa chaleureuse simplicité, à la sortir de son apathie morbide. J'ai beaucoup aimé leur relation toute en pudeur, où le caractère bourru de Ki se heurte à la gentillesse et l'humanité de Vandien, la faisant peu à peu, à son insu, revenir du côté des vivants.

Le contexte va également contribuer fortement à les rapprocher : le froid extrême, la neige, les conditions de voyage horriblement difficiles, les dangers, et par-dessus tout, l'étroitesse de la roulotte. Mais ici, le romantisme n'a pas sa place, et c'est aussi cela, la force de ce texte il n'y a pas de flirt ni de tentative de charme, rien n'est dit explicitement, tout est dans un geste (ou même un geste esquissé mais qu'on se retient de faire), dans un acte de pure générosité, sans arrière-pensée, dans un regard, dans un mot. Ou même juste dans l'atmosphère ambiante. C'est très subtil et tellement fort à la fois ! 

Ki sauvera la vie de Vandien, mais celui-ci sera également salutaire à Ki de bien des façons, et notamment en lui tenant tête. Ki est une femme qui sait ce qu'elle veut, au point parfois de se montrer obstinée jusqu'à l'imprudence. De même, son sens de l'honneur extrêmement élevé la pousse à accomplir sa mission sans se poser de questions, alors que de nombreux faits et indices démontrent qu'elle devrait. Pour tout cela, Vandien a la force de s'opposer à elle et de lui ouvrir les yeux, l'amenant à se poser les bonnes questions et à réfléchir différemment, à regarder au-delà des apparences.

Quant à la fin de ce tome, je l'ai également beaucoup appréciée, car c'est une vraie fin, c'est-à-dire que l'on pourrait s'arrêter là si on voulait, tout en laissant présager que leurs aventures ne font que commencer. D'ailleurs, je sais que je ne tarderai pas trop à lire la suite.


Conclusion : Un excellent premier tome pour une fantasy dense et riche, qui se savoure, avec des personnages forts et attachants. Assez peu d'action, mais de violentes émotions intérieures pour les personnages, et un univers qui ne dévoile ses subtilités qu'au compte-gouttes. De la très très bonne fantasy, comme toujours avec Robin Hobb.


Ma note : 17/20



Cette lecture rentre dans le cadre des challenges :


























1 commentaire:

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