mardi 4 juin 2019

La maladie de Sachs


Auteur : Martin Winckler
Editeur : P.O.L
Parution : 1998
Nombre de pages : 472






" Pourquoi venez-vous me voir, ce soir ? Parce que je ne sais plus quoi faire.
Parce que ça fait trop longtemps que ça dure. Parce que ça ne peut plus durer Parce que je n'ai pas trop le choix, si ça ne dépendait que de moi, vous savez, les médecins, moi, moins j'en vois, mieux je me porte... " Dans la salle d'attente du docteur Bruno Sachs, les patients souffrent en silence. Dans le cabinet du docteur Sachs, les plaintes se dévident, les douleurs se répandent. Sur des feuilles et des cahiers, Bruno Sachs déverse le trop-plaint de ceux qu'il soigne.
Mais qui soigne la maladie de Sachs ?













Ce que j'en ai pensé





Au début, j'ai cru que je n'allais pas pouvoir le lire.
En effet, j'ai été très fortement déstabilisée et gênée par la forme de la narration.
Je m'explique : ce roman raconte le quotidien d'un médecin généraliste "de campagne", comme on dit, puisqu'il exerce dans un petit village, qui s'appelle Bruno Sachs.
Donc logiquement, je m'attendais à ce que ce soit le médecin qui parle.
Or, c'est tout le monde sauf le médecin.
Les chapitres sont très courts (d'une-demie page à 3 pages maximum), et chaque chapitre, c'est une personne différente : des patients principalement, mais aussi sa secrétaire, sa mère, sa femme de ménage, sa voisine, des commerçants du village, des confrères, des amis...
Mais ça encore, ce n'est pas le plus gênant.
Là où c'est très bizarre et où j'ai vraiment mis du temps à m'habituer, c'est que quand ils parlent du médecin, tous ces gens ne disent pas "il", mais "tu".
"Tu te lèves et me dis bonjour", "Tu me demandes de m'allonger", etc...
Et ceci, même quand ils le vouvoient quand ils lui parlent.
C'est-à-dire que dans les dialogues, ils le vouvoient, mais dans les passages narratifs, ils disent "tu" en parlant de lui.
C'est très perturbant, à la lecture, et j'ai bien cru que je n'arriverai pas à dépasser cela.
Et puis peu à peu je m'y suis faite, et quand on ne fait plus attention à cette originalité, c'est vraiment passionnant, et après, je n'arrivais plus à le lâcher.

Mais je persiste quand même à dire que ce "truc", de dire "tu" quand ils parlent du personnage principal, on aurait vraiment pu s'en passer. Le roman y aurait gagné en clarté et moi, je me serais sentie plus à l'aise, ma lecture aurait été plus aisée, plus fluide. Alors que là, j'étais constamment en train de faire un effort pour me rappeler que ce n'était pas le médecin qui parlait, et que quand je lisais "tu", c'est au contraire de lui qu'on parlait.

Surtout que par la suite, il y a des chapitres qui sont des morceaux de "carnets" qu'écrit le médecin lui-même, donc là la narration change à nouveau (mais heureusement la police du texte aussi), d'autres chapitres où les gens qui parlent de Sachs en disant "il", et le pompon, c'est que sa compagne (qu'il rencontre à un moment donné au cours du livre) dit "vous" en parlant de lui.

Vraiment, la construction de ce roman (qui est en fait un témoignage romancé) est très bizarre et il faut faire un effort pour l'accepter. 


Mais mis à part ça, ce livre était excellent et j'ai adoré ce médecin : non seulement il est bon, mais il est extrêmement humain, et je pense qu'on voudrait tous en avoir un comme ça. C'est un médecin "à l'ancienne", comme on en avait avant que les docteurs ne se déplacent plus ni la nuit ni les week-ends (donc jusqu'au début des années 1990, je pense), à l'époque où on n'était pas obligé d'attendre d'être à l'article de la mort pour faire le 15 et que le SAMU se déplace - éventuellement, s'ils ne vous envoient pas balader. 

C'est un médecin qui a compris que son rôle ne s'arrêtait pas à poser un diagnostic et prescrire des médicaments, mais qu'il consistait parfois juste en écouter, tenir une main, rassurer, et calmer la douleur. Un médecin qui a également compris que souvent, très souvent, même, les maladies physiques de ses patients n'étaient que le reflet de leur mal-être, et qu'ils avaient autant besoin qu'on soigne leur âme que leur corps.

Ce genre de médecin comme on n'en fait plus, on pouvait aller le voir pour presque tout : il pouvait aussi bien vous faire des points de suture qu'un frotis vaginal ou un électrocardiogramme. Il ne vous envoyait voir un spécialiste que s'il y avait un problème sérieux, ou pour des examens plus poussés.

Ses consultations étaient extrêmement variées, et on ne s'ennuie jamais à la lecture de ce livre.

Par ailleurs, la galerie de personnages qui parcourent ce livre est aussi haute en couleur que criante de réalisme. Que ce soit dans leur description physique, dans leur façon de s'exprimer ou dans le rendu de leurs petites manies, on a l'impression de les voir prendre vie sous nos yeux et à force, de les connaître. Les portraits qui se dessinent au fil des pages les rendent touchants et attachants, malgré leurs côté parfois agaçants. 

Enfin, malgré un côté sombre certain - à la limite du désespoir, parfois -, et ses doutes sur son métier, ce médecin dégage une telle humanité, une telle chaleur, un tel intérêt pour ses patients, qu'il m'a énormément touchée.

En conclusion, je dirai donc que malgré ses défauts de forme (qui n'empêchent pas le style d'être très bon), ce livre mérite vraiment le détour et je ne peux que le recommander à tous ceux que ce sujet intéresse. Car au-delà de ce quotidien de médecin généraliste, c'est à une vraie réflexion sur la Médecine en général qu'il nous invite, et j'ai adoré également cet aspect-là.





Ma note : 18/20





Cette lecture rentre dans le cadre des challenges :



























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